20 février 2019 : dans 21 jours, je saurai

 

 

« Je sors de la CNDA (Cour nationale du droit d’asile).

Cette audience en appel pour demander à la France de m’accorder le statut de réfugié restera l’un des rendez-vous les plus essentiels de ma vie. Face à moi, trois juges, un homme, deux femmes, pour écouter mes arguments. Je parle suffisamment bien français, désormais, pour avoir tenu à m’exprimer dans cette langue. C’était la moindre des choses, je crois, alors que je rêve d’être accueilli dans ce pays.

 

Je suis content, car cette fois, je suis arrivé à raconter vraiment. Pas comme il y a trois ans, lorsque l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) m’avait auditionné, à mon arrivée en France. Je me rends compte à quel point l’école m’avait manqué à ce moment-clé de ma vie, ainsi que l’habitude de « dire » aux autres, d’exposer mes idées. En Afghanistan, l’enfant que j’étais n’avait pas vraiment le droit à la parole. Au contact de Florence, de Dominique, j’ai appris à raconter. Dans mes cours de français, j’ai progressé à l’oral. Florence m’a beaucoup fait travailler avant mon audience : « Comme je l’avais fait pour mes enfants quand ils ont eu des oraux d’examen », m’avait-elle dit en souriant.


Tout cela s’est senti devant les juges. J’ai parlé 20 minutes d’affilée, vient de me dire Valérie. J’ai ensuite répondu aux questions. Puis mon avocate a fait sa plaidoirie. Julie, avocate elle aussi et amie de Florence, a apporté un éclairage supplémentaire.

Au bout de 50 minutes, les juges ont mis fin à l’audience : « C’est bon, nous en savons assez. », ont-ils conclu. Moins d’une heure pour que trois personnes qui ne me connaissent pas se fassent une opinion et décident : de mon avenir ou de la mort quasi certaine qui m’attend.

Derrière moi, j’avais une bonne partie de ceux qui m’accompagnent dans ma vie de France. Ils avaient tenu à le faire, ce jour-là encore. Florence, Anna, Victor, Dominique, Valérie, Patricia, Quentin, Sylvie et tant d’autres du comité de soutien. Je sentais leur présence dans mon dos, incroyablement chaleureuse et soutenante.

 

La date d’aujourd’hui va-t-elle me porter bonheur ? Mon fils a 10 ans, en ce 20 février, c’est son anniversaire ! Porte-nous chance, Ehsan, car si je l’ai, ce statut de réfugié, nous serons enfin réunis. Je pourrai te voir, sans cet écran entre nous, je pourrai te toucher, t’embrasser, te conduire à l’école, te prendre par la main et t’emmener vers ta vie d’adulte. Je me sens tellement ton papa désormais. Je rêve tant de te le montrer au quotidien.

Je veux aussi voir des signes de bon augure dans ce qui s’est passé pendant l’audience. Plusieurs personnes me l’ont dit : « Deux femmes sur les trois juges, c’est bien. Elles auront beaucoup plus d’empathie sur tout ce qui t’est arrivé. » Je suis assez d’accord. Puis tout à coup, je repense à la juge suédoise, il y a tant d’années déjà, une femme elle aussi, qui m’a écouté toute une journée… et a refusé mon dossier.

Signe, aussi, le geste très maternel de Sylvie, juste à la fin de l’audience ? Cette caresse sur mes cheveux aura-t-elle touché les juges ?

Et l’attitude affectueuse d’Anna, celle d’une petite sœur.

Je ne sais pas, je ne sais plus.

Comment savoir ce qui a joué ou pas, ce qui les a fait basculer d’un côté ou de l’autre ? Parce que désormais, c’est fait. Sauf que je ne le sais pas encore. Je suis à la fois terriblement impatient de l’apprendre et terrorisé de ce que le résultat pourrait être.

 

Depuis que je suis sorti de la salle d’audience, c’est comme si le temps s’était arrêté dans l’attente du verdict. Les juges ont dit que ce serait le 13 mars. Dans 21 jours. Tant d’heures, de minutes et de secondes à ne rien faire d’autre qu’attendre. Pourtant, que sont ces 21 « petits » jours face aux dix années qui viennent de s’écouler ? » 

Afghanistan, le jour où ma vie a basculé

 

« Comment ne l’ai-je pas senti, ce matin de mars 2008, en ouvrant les yeux ? Comment n’ai-je pas compris que, quelques heures plus tard, pour m’être seulement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, ma vie allait basculer, ne pouvant plus jamais être la même ?

 

Un conteneur d’environ 6 m², posé dans un coin de la base militaire. Je n’y avais jamais vraiment prêté attention depuis deux mois que nous étions à Musa Qala. Je m’étais juste demandé ce qu’il faisait là, avec sa couleur grise et la froideur de sa tôle ondulée qui ajoutaient à l’environnement noir et glacial de nos journées de guerre. Il m’avait semblé, une fois que je l’avais longé, en traversant la cour, entendre des cris étouffés qui provenaient de l’intérieur. Je m’étais arrêté net, j’avais tendu l’oreille, mais plus rien. J’avais pensé que ce n’était rien d’autre que, résonnant encore dans ma tête, le hurlement poussé, le matin même, par mon ami Dumbo : il voulait se donner du courage en entrant avec fracas dans la cave qu’on craignait remplie de talibans. Et qui l’était, d’ailleurs.

Finalement, peut-être que ce jour-là, j’avais bien entendu, me disais-je maintenant que j’étais enfermé dans cette boîte qui, d’habitude, sert à transporter des marchandises. Aucun doute qu’avant moi, d’autres y avaient déjà été emprisonnés. Quand le commandant K. m’avait violemment poussé à l’intérieur, je m’étais fracassé contre la table. Il avait refermé la porte, la claquant le plus fort possible et je m’étais retrouvé seul, dans le noir de cette « pièce » sans fenêtre.

 

Je suis resté longtemps prostré, incapable de bouger de la position où j’étais tombé, le corps trop endolori des coups reçus tout

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